La SCNAT et son réseau s'engagent pour une société et une science durables. Ils soutiennent la politique, l'administration et les entreprises avec des connaissances spécialisées et entretiennent un dialogue avec le public. Ils renforcent les échanges entre disciplines scientifiques et promeuvent les jeunes universitaires.

Image : Sebastian, stock.adobe.com

« La Suisse risque de rater le train du développement des technologies vertes »

Carte blanche à Martin Wörter, de l’EPF de Zurich, et Tobias Stucki, de la Haute école spécialisée bernoise

07.02.2022 – La recherche et le développement de nouvelles technologies vertes traînent, comme en témoignent les chiffres recueillis dans le monde entier sur les nouveaux brevets. La Suisse ne fait pas exception : elle ne réussit même pas à se faire une place dans le top 10 de ce domaine. Il est temps que les politiques posent les bons jalons pour l’avenir.

Carte Blanche / Martin Wörter, Tobias Stucki
Image : zvg

Cet article reflète les opinions personnelles des auteurs et ne correspond pas nécessairement à la position de la SCNAT.

Depuis l’accord de Paris, de nombreux États, dont la Suisse, ont promis de parvenir à zéro émission nette de CO2 d’ici 2050. Toutefois, selon un rapport publié récemment par l’Agence internationale de l’énergie, il est peu vraisemblable que les technologies vertes existantes, une intensification du recyclage et les changements de comportement de la société suffiront pour atteindre cet objectif. Le développement de nouvelles technologies écologiques, permettant d’éviter des rejets de CO2, voire de retirer ce gaz de l’atmosphère, est donc nécessaire.

Or la recherche et le développement dans ce domaine n’avancent pas. C’est ce qui ressort des chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) au sujet des nouveaux brevets déposés dans le monde. Depuis 2011, les demandes de brevet stagnent dans presque toute la palette des technologies vertes – et depuis 2016, elles sont même en léger recul. Cette tendance négative signale qu’il est devenu plus difficile et plus coûteux pour les entreprises de s’engager dans la recherche et le développement de technologies vertes. Cela pourrait tenir, entre autres, à des conditions-cadres politiques insuffisantes et à un manque d’incitations du marché.

L’effet de bonnes conditions-cadres a été observé aux États-Unis à partir de 2005 : l’introduction de mesures politiques d’encouragement a stimulé le développement des technologies vertes et a fait que les marchés financiers ont évalué plus positivement les entreprises concernées. Les États-Unis figurent aujourd’hui parmi les douze pays leaders en matière de brevets pour les technologies visant à atténuer les changements climatiques. La Suisse n’apparaît pas dans cette liste. Elle réunit pourtant les meilleures conditions pour participer dans le peloton de tête au développement de ce domaine : une recherche de pointe, des entreprises spécialisées et une main-d’œuvre très bien formée.

Créer de bonnes conditions-cadres

Les entreprises suisses financent les coûts de recherche et de développement de nouvelles technologies – dont les vertes – en grande partie par leurs propres moyens. Toutefois, beaucoup d’entre elles voient se restreindre leur marge de manœuvre financière, en raison des effets négatifs de la pandémie ; il apparaît donc d’autant plus urgent d’améliorer les conditions-cadres par des dispositions en matière de politique économique.

Il peut s’agir, d’une part, de mesures qui stimulent la demande de technologies vertes, ce qui favorise la diffusion de celles qui existent déjà et promeut également la recherche et le développement de nouveaux produits et services. Des instruments qui conviennent à cette fin sont, notamment, les réglementations, les taxes d’incitation, les systèmes d’échange de quotas d’émission, les labels et les efforts d’information.

Mais il faut aussi, d’autre part, des mesures de soutien direct à la recherche et au développement dans les entreprises. À cette fin, la Confédération peut aider financièrement des entreprises, par exemple en leur octroyant des subventions. En outre, elle devrait encourager les coopérations de recherche et développement entre entreprises, et entre hautes écoles et économie privée, et promouvoir ainsi l’acquisition de savoir-faire au sein des entreprises.

Renforcer l’économie et atteindre les objectifs climatiques

Le recours à une combinaison bien équilibrée de mesures est essentiel pour faire avancer le développement de nouvelles technologies vertes. C’est également ce que préconise une étude sur les technologies respectueuses de l’environnement, dans le cadre de laquelle une enquête a été menée auprès d’entreprises d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse pour savoir comment elles réagiraient à telles ou telles mesures. L’analyse des réponses a montré que des dispositions telles que les taxes sur les combustibles fossiles incitent certes des entreprises à passer à des technologies énergétiques respectueuses de l’environnement, mais qu’alors, en raison de ces investissements, des moyens financiers leur manquent pour la recherche et le développement de nouvelles technologies vertes. Il importe donc que des dispositions soient prises non seulement pour stimuler la demande, mais aussi pour soutenir la recherche et le développement dans ce domaine.

Si la Suisse parvient à faire avancer le développement des technologies vertes, elle en tirera un double profit à l’avenir : d’une part, elle réduira ses émissions de CO2 et, d’autre part, elle renforcera sa position comme place économique – car les technologies respectueuses de l’environnement seront de plus en plus demandées dans le futur.

_

Martin Wörter est professeur titulaire à l’EPF de Zurich et responsable de la section Économie de l’innovation au Centre de recherches conjoncturelles (KOF).

Tobias Stucki est professeur d’économie à la Haute école spécialisée bernoise et co‑directeur de l’Institut Sustainable Business.

Catégories

  • Développement de technologies