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« La Suisse est une nation spatiale »

Le nouveau rapport COSPAR, qui paraît cette semaine, donne un aperçu des activités de la Suisse dans le domaine spatial. Renato Krpoun, chef de la division Affaires spatiales (appelée parfois Bureau spatial suisse) du Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI), commente le rapport en soulignant l’importance de la coopération entre la science et l’industrie.

Renato Krpoun est chef de la division Affaires spatiales du Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI).
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Monsieur Krpoun, quand on pense à la Suisse, la première chose qui vient à l’esprit est peut-être la montagne. Puis le fromage, le chocolat et les montres. Tout cela a peu à voir avec l’espace. Il existe néanmoins un Bureau spatial suisse. Comment cela est-il compatible ?

Renato Krpoun : En fait, tout cela s’accorde, d’une manière ou d’une autre, avec le spatial. A cause des montagnes, il n’y a pas de véritable horizon en Suisse et nous sommes quasiment obligés de regarder constamment vers le haut, vers les étoiles. Avec les montres, nous touchons au domaine de la précision et de la qualité, et pour le fromage et le chocolat, nous sommes parmi les meilleurs au monde. Ce sont autant d’expressions de notre compétitivité et de notre excellence.

Quelle est la fonction du Bureau spatial suisse ?

La Suisse n’a pas d’agence spatiale propre, mais elle est l’un des membres fondateurs de l’Agence spatiale européenne (ESA) et a même fait partie de l’organisation qui l’a précédée. Nous avons donc plus de 50 ans d’expérience dans le domaine spatial. Notre tâche consiste à préparer et à mettre en œuvre la politique spatiale suisse. Une grande partie de cette activité porte sur la gestion des projets que nous réalisons dans le cadre de notre participation à l’ESA – 95 % du budget de recherche et développement du secteur spatial suisse est investi dans cette organisation. Nous assurons également les contacts avec l’industrie et le monde scientifique et sommes le centre de compétence pour le domaine spatial au sein de l’administration fédérale.

Le nouveau rapport COSPAR sort cette semaine. Il donne un aperçu des instruments et de la recherche suisses dans le domaine spatial au cours des deux dernières années. Ce document compte une centaine de pages et fait état de près de 60 projets. Êtes-vous satisfait ? Met-il en évidence un aspect particulièrement marquant ?

Je suis très satisfait. Les hautes écoles et les entreprises qui participent aux projets peuvent être fières de leurs contributions. C’est formidable de voir ce qui se passe en Suisse en la matière et dans combien de domaines de la recherche spatiale nous sommes impliqués. Parmi toutes nos activités, la plus marquante est, à mon avis, la mission CHEOPS (CHaracterizing ExOPlanetS). Elle sort clairement du lot, car c’est la première fois qu’une mission de l’ESA se déroule sous la direction scientifique de la Suisse. Il est également à noter que quelques mois avant le lancement de la mission, le responsable du comité scientifique de CHEOPS, Didier Queloz, a reçu le prix Nobel (avec Michel Mayor) précisément pour ce domaine de recherche (les exoplanètes). Cela montre que la Suisse compte, à cet égard, parmi les leaders mondiaux.

Vous dites que dans le secteur de l’espace, la Suisse figure dans le peloton de tête mondial. Comment ce petit pays y est-il parvenu sans avoir son propre programme spatial ?

Cela tient d’une part au fait que la Suisse dispose, notamment grâce à sa prospérité, du 15e au 20e plus gros budget spatial au niveau mondial et du 7e au sein de l’ESA. D’autre part, la Suisse a reconnu très tôt que dans le secteur spatial, la coopération est la clé du succès. C’est pourquoi elle s’est toujours concentrée sur des niches. Tel est le cas dans l’industrie : des exemples sont les coiffes de charge utile, de RUAG, qui protègent les fusées contre des contraintes externes, ou les horloges atomiques, qui sont un élément central des satellites Galileo. Mais c’est le cas aussi dans le domaine scientifique, où, comme le montre le rapport COSPAR, la Suisse produit de nombreux instruments essentiels aux missions. CHEOPS ou GAIA (qui permettent, entre autres, d’étudier des corps célestes variables) en sont des exemples. Les images en 3D de l’instrument CASSIS, qui fait partie de la mission ExoMars, sont également au top niveau mondial.

Dans quelle mesure le PNR PlanetS contribue-t-il au succès des efforts de la Suisse dans le domaine spatial ?

La Suisse a des points forts, mais aussi un handicap : sa faible taille, qui l’empêche d’atteindre la « masse critique ». Cela est particulièrement manifeste pour le développement d’instruments toujours plus grands et plus complexes. Le PNR PlanetS est une possibilité de remédier à ce problème. Il permet de répartir les travaux en fonction des compétences, au lieu que des hautes écoles essaient chacune individuellement de travailler sur quelque chose, ce qui peut mener à des redondances. Le PNR permet de mettre le savoir-faire en commun et de créer des synergies ; il renforce ainsi la coopération au sein de la Suisse.

Certes, l’espace est intéressant. Mais quel est le bénéfice ultime de ces efforts pour le contribuable ? Des emplois sont-ils créés ? La recherche et le développement dans ce secteur débouchent-ils aussi sur des choses utiles dans la vie de tous les jours ?

De nombreux emplois sont effectivement créés dans ce secteur – par exemple plus de 200 au cours des cinq dernières années dans la seule région de Lausanne, où beaucoup d’entreprises sont actives dans le spatial. Mais des emplois voient également le jour indirectement, dans des entreprises qui se servent de ces technologies pour mettre de nouveaux produits sur le marché. Dans ce cas, le lien avec le spatial n’est pas toujours évident. Parmi les applications au service de la population figurent les satellites météorologiques – personne aujourd’hui ne pourrait imaginer une prévision du temps sans eux. Les satellites de navigation sont également très utiles dans la vie quotidienne : ils permettent par exemple à la Rega d’effectuer 200 à 300 vols de sauvetage supplémentaires par an. Et une partie des télécommunications passe par des satellites géostationnaires. Cette tendance vers des applications quotidiennes se renforcera probablement encore à l’avenir.

De plus en plus d’acteurs privés s’engagent dans le spatial. SpaceX, par exemple. Comment jugez-vous cette évolution et que signifie‑t‑elle pour la Suisse ?

On assiste actuellement à une sorte de renaissance du spatial, qui entraîne une nouvelle dynamique. On attache plus d’importance à la compétitivité, aussi dans les programmes spatiaux des États. Le propos est d’en avoir plus pour son argent. Pour la Suisse, cela signifie que nous devons continuer à être innovants. Je pense que nous sommes sur la bonne voie, notamment grâce aux nombreuses start-up actives dans le secteur spatial.

Faut-il comprendre que cette évolution vers une participation accrue du secteur privé a lieu également en Suisse ?

Exactement. Au total, on dénombre aujourd’hui plus de 70 entreprises suisses qui font toute une gamme de produits allant de petits composants à des systèmes satellitaires complets. L’European Space Policy Institute a publié récemment une étude sur le capital-risque dans le secteur spatial, selon laquelle la Suisse se classe au deuxième rang en Europe avec environ 40 millions d’euros. Ça veut dire quelque chose ! Mais nous devons poursuivre nos efforts pour ne pas perdre cette position.

La pression qui résulte de cette évolution et incite à tirer le meilleur parti possible des investissements est certainement opportune. Mais on perçoit aussi une atmosphère de ruée vers l’or dans les activités spatiales du secteur privé. Par exemple, le projet de SpaceX de placer des milliers de satellites en orbite ne suscite pas que de la sympathie parmi les scientifiques. L’espace a-t-il besoin de plus de réglementation ? Si oui, comment la Suisse peut-elle s’investir pour cela ?

Bien sûr, c’est une question qui nous préoccupe, mais elle doit être abordée au niveau mondial. La Suisse ne peut pas prendre des décisions en solitaire, ne serait-ce qu’en raison des traités de l’ONU, selon lesquels l’espace au-dessus de notre territoire ne nous appartient pas. C’est pourquoi nous ne pouvons pas interdire aux satellites de SpaceX de survoler notre pays. Mais la Suisse s’efforce, sur le plan international, de promouvoir une utilisation durable à long terme de l’espace. Par le biais du Comité des Nations Unies sur les utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique et par l’intermédiaire de l’ESA. Par exemple, cette organisation a chargé une entreprise suisse (ClearSpace) de développer un système d’élimination des débris spatiaux. A part les réglementations, des solutions techniques peuvent en effet également apporter leur contribution. Mais il faut trouver un équilibre entre l’utilisation durable et la plus-value socio-économique des activités spatiales.

Souhaitez-vous ajouter quelque chose dont nous n’avons pas encore discuté ?

Ce qui me tient à cœur, c’est que le succès de la Suisse dans le domaine spatial ne tient pas seulement au savoir-faire des universités, mais aussi à celui des entreprises. Nous ne devons pas oublier cette symbiose, il faut s’efforcer de la maintenir. Cela contribuera à garantir notre compétitivité scientifique également à l’avenir.

L'interview: Arian Bastani (NCCR PlanetS)

Le rapport COSPAR a été publié par le Comité suisse de la recherche spatiale (Swiss Committee on Space Research (CSR)) de l’Académie suisse des sciences naturelles.

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