Pistes pour l’avenir alimentaire de la Suisse
ProClim Flash 78
Les événements mondiaux de ces trois dernières années ont montré que notre système alimentaire n’est pas résilient. Des spécialistes du domaine ont élaboré un guide politique pour remédier à cette situation en Suisse.
Texte : Sol Kislig et , Université de Berne
Les guerres, la progression des changements climatiques et l’érosion de la biodiversité soumettent les chaînes d’approvisionnement mondialisées à une pression croissante. En conséquence, la sécurité de l’approvisionnement n’est plus garantie, ce qui entraîne des troubles sociaux. En même temps, notre système alimentaire est un moteur déterminant de ces crises. Il est responsable d’environ 30 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et contribue substantiellement à la perte de biodiversité 1. Des rétroactions (par exemple en Amazonie) entre la crise climatique et celle de la biodiversité peuvent déclencher de dangereux points de basculement dans les écosystèmes et aggraver rapidement les défis existentiels de la sécurité alimentaire mondiale 2.
Il est donc nécessaire et urgent de transformer le système alimentaire en conformité avec les Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU et l’Accord de Paris sur le climat. Or, ce qui est fait dans ce but en Suisse ne suffit pas. En comparaison internationale, la teneur en nitrates dans les eaux souterraines se maintient depuis 2002 à un niveau élevé qui comporte des risques pour la santé de l’homme et de l’environnement 3,4. En outre, près de 70 % des émissions de gaz à effet de serre liées à la consommation de denrées alimentaires en Suisse sont générées à l’étranger 5. D’une part, la Suisse dépend du bon fonctionnement, à l’échelle mondiale, d’écosystèmes et de chaînes de création de valeur; d’autre part, elle porte également une responsabilité dans la conception durable du système alimentaire en dehors de ses frontières.
Perspective globale du système alimentaire
Transformer le système alimentaire suisse n’est pas facile. Des conflits d’intérêt, la résistance aux changements et la peur de perdre quelque chose compliquent la mise en œuvre de mesures durables. C’est pourquoi les initiatives en ce sens et les réformes de la politique agricole se heurtent souvent à une forte opposition.
Au niveau des décisions politiques, il est donc indispensable d’aborder le système alimentaire dans sa totalité, en prenant en compte toute la chaîne de création de valeur. Les dix-sept ODD que la Suisse a signés avec tous les membres de l’ONU constituent le cadre de cette perspective globale 6. En plus de la dimension écologique, il faut considérer également les aspects économiques, sanitaires et sociaux – par exemple le fait que les revenus sont souvent faibles dans le secteur alimentaire. Il est essentiel d’assurer un changement socialement équitable, de mettre en valeur les prestations et les besoins des acteurs du système alimentaire et de veiller à une juste répartition et compensation des coûts éventuels. Les opportunités qu’offre le changement devraient figurer au cœur du débat. Celles-ci l’emportent clairement sur le coût de l’inaction.
Il s’agit de comprendre comment les conflits d’intérêts existants sont consolidés et de quelle manière concevoir et planifier les mesures pour permettre leur mise en œuvre au niveau politique. C’est ce qu’a entrepris un comité scientifique composé de 42 expertes et experts dans le cadre du projet « Avenir alimentaire suisse », soutenu par SDSN Suisse (la branche suisse du Réseau des solutions pour un développement durable). Un groupe interdisciplinaire a proposé des solutions pour une transformation du système alimentaire et élaboré un guide présentant des objectifs et des mesures concrètes. 7
Un fonds de transformation comme base
Le comité scientifique propose de créer dans une première phase, d’ici 2025, un fonds de transformation qui devrait permettre de financer à brève échéance des mesures en matière d’information et de formation ainsi que des instruments d’incitation positifs. Il pourrait s’agir par exemple de programmes de formation et de perfectionnement destinés à des professions en relation avec l’alimentation ou de programmes d’encouragement pour jeunes agriculteurs et agricultrices. Le soutien à la recherche et au développement dans le secteur alimentaire, les primes de reconversion pour les exploitations agricoles et le développement d’offres durables dans la restauration hors domicile seraient des objectifs importants du fonds. Celui-ci serait la base financière pour générer de nouvelles possibilités de création de valeur, faire évoluer les normes sociales et favoriser l’acceptation de mesures plus poussées dans des phases ultérieures. Il pourrait être alimenté au début par des crédits supplémentaires du budget fédéral et par des moyens privés et être élargi plus tard par de nouvelles taxes d’incitation et la réaffectation de ressources existantes. Une autre approche importante, mais qui va au-delà de la politique agricole existante, est le soutien ciblé d’acteurs tout au long de la chaîne de création de valeur. Par de nouveaux programmes de soutien, ce fonds devrait promouvoir les opportunités qu’offre le changement, telles que le développement de chaînes de création de valeur basées sur les végétaux. Toutefois, il ne doit pas nourrir la peur de perdre et augmenter la charge bureaucratique.
La commission sur l’avenir du système alimentaire
Une autre recommandation essentielle du comité scientifique est de mettre en place une Commission sur l’avenir du système alimentaire, laquelle serait officiellement convoquée par le pouvoir législatif et aurait pour but d’instaurer un processus de négociation accéléré, confidentiel et multilatéral. La participation des principaux groupes d’intérêts, une animation neutre et un accompagnement scientifique devraient être garantis. En outre, des organes consultatifs permettraient à des citoyennes et à des citoyens de s’associer à la réflexion.
Un fonds de transformation et une commission sur l’avenir ne suffisent pas: le succès en la matière ne dépend pas seulement de la formulation de mesures individuelles, mais également et surtout de leur coordination, de leur imbrication stratégique et de l’ordre dans lequel elles se succèdent.
C’est pourquoi le comité scientifique propose un chemin d’action politique détaillé et concret 7. Le but est de déclencher des points de basculement sociaux positifs, où des interventions ciblées ont des effets importants et à long terme pour le développement durable du système et peuvent modifier son fonctionnement en profondeur et en s’accélérant d’eux-mêmes. Le comité scientifique a bon espoir que des objectifs mesurables et fondés sur des données probantes, un chemin d’action politique stratégique et une gouvernance globale du système alimentaire peuvent déclencher ces points de basculement positifs.
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Références
[1] Poore J, Nemecek T (2018) Reducing food’s environmental impacts through producers and consumers. Science 360, 987–992.
[2] Armstrong McKay DI et al. (2022) Exceeding 1.5°C global warming could trigger multiple climate tipping points. Science 377, 1135.
[3] Bundesamt für Statistik (2022) Das MONET 2030-Indikatorensystem. bfs.admin.ch/bfs/de/home/statistiken/nachhaltige-entwicklung/monet-2030.html
[4] Schweizerischer Bundesrat (2022) Die Umsetzung der Agenda 2030 für nachhaltige Entwicklung: Länderbericht der Schweiz 2022.
[5] Bundesamt für Umwelt (2022) Kenngrössen zur Entwicklung der Treibhausgasemissionen in der Schweiz 1990–2020. bafu.admin.ch/latest-ghg-inventory
[6] United Nations (2015) Transforming our World: The 2030 Agenda for Sustainable Development. 15-16301 (G) sdgs.un.org/publications/transforming-our-world-2030-agenda-sustainable-development-17981
[7] Fesenfeld L et al. (2023) Wege in die Ernährungszukunft der Schweiz: Leitfaden zu den grössten Hebeln und politischen Pfaden für ein nachhaltiges Ernährungssystem. SDSN Schweiz. 75 S. doi.org/10.5281/zenodo.7543576